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Entretien avec Vincent Godeau : La photo africaine s’émancipera de l’Occident

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Comment la photographique africaine a-t-elle émergé ? Après avoir parcouru le continent pendant plusieurs années, le professeur et photographe Vincent Godeau signe un ouvrage sans concession.

Vous distinguez plusieurs Afriques avec chacune ses spécificités selon qu’elle est anglophone, francophone, lusophone, arabophone… Concernant la photo d’Afrique du Nord, est-il légitime de la rattacher au continent ou plutôt de la rapprocher de la photographie arabe ?

Question judicieuse. Cette distinction est avant tout géographique, c’est presque une vérité de la Palice, un héritage de la colonisation. En même temps, cela va à l’encontre du discours officiel véhiculé par des experts occidentaux ou africains, pour lesquels il n’y a pas lieu de prendre en compte la nationalité d’un artiste. La proximité de l’Europe joue pourtant un rôle dans l’essor de la photographie marocaine par exemple. La photographie du Maghreb fait partie sans aucun doute du monde arabe, mais seulement si l’on en considère les thèmes :  le travail de l’Algérien Omar D. sur les populations de Berbérie et sa superbe Biography of Disappearance entrent dans ce champ. A contrario, les pays d’Afrique centrale se montrent moins réceptifs à cet Occident photographique qu’à la production sud-africaine. 

 

La photo africaine que tout le monde a en tête, c’est cette grande tradition du portrait de studio en noir et blanc, « révélée » par l’Occident dans les années 90. En quoi cela a-t-il conditionné la perception de la photographie africaine dans le monde et sur le continent ?

Cette photographie de studio a donné une identité forte à la photographie africaine. La manière un brin romanesque dont s’est déroulée cette redécouverte, avec André Magnin (le galeriste qui a révélé la scène contemporaine africaine à Paris, ndlr) par exemple, a effectivement joué un rôle dans sa perception. Il ne faut pas croire que l’on s’est trompé sur les portraitistes, qui sont nombreux et féconds. Ce sont de bons piliers. Sans le savoir, ils ont ouvert la voie à la reconnaissance de la photographie africaine par des instances internationales, l’Afrique restant globalement à l’écart, comme boudant ses propres artistes. Le récit construit autour de Seydou Keïta, sacré père fondateur et grand photographe sans connaître l’histoire de l’art, a beaucoup compté (voir aussi portfolio p.50). Samuel Fosso est l’héritier de Keïta. Mais contrairement à lui, il ne pratique que l’autoportrait, ce qui est une transgression. De par sa pratique assumée et réflexive il a fait passer la photographie africaine, et pas seulement la photo de studio, dans la modernité. Ces dernières années, les Occidentaux se sont aperçus que beaucoup d’autres « studiotistes » existaient, comme Oumar Ly, vénérable portraitiste de studio et d’extérieur, nouvel objet d’attention en France. Plus récemment, Jean Brolly a exposé à Paris le Malien Adama Kouyaté en reconstituant un studio de prises de vue au sein même de la galerie. 

 

Vous évoquez le caractère souvent documentaire de la photo africaine. En Afrique du Sud et au Mozambique, par exemple, elle a été une arme pour activer la décolonisation. Que montrent ces images ?

On y assiste à la guerre civile au Mozambique et à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Ce sont à ma connaissance les deux seuls pays africains où le contexte a à ce point façonné la photographie nationale. Au Mozambique, curieusement, des photographes comme Ricardo Rangel, Kok Nam ou encore José Cabral ont laissé des vues sans violence directe. Par exemple, une photo de trois soldats par Kok Nam a quelque chose de tranquille et de graphique. En Afrique du Sud, le déploiement de l’apartheid, son durcissement continu, ont transformé la photographie en photo de combat : le reporter allait au-devant du danger. La photo mythique de Sam Nzima sur laquelle un jeune garçon tué pendant une manifestation d’étudiants gît dans les bras d’un jeune homme en pleurs, en est la quintessence. Mais d’autres photographes choisirent un engagement moins frontal, comme Ernest Cole qui opta pour une photo documentaire sociale. Ou David Goldblatt, qui choisit de ne pas montrer le conflit, tant le spectaculaire lui répugne. La photographie est encore trop peu considérée comme un art en Afrique, alors que le marché explose à l’international depuis une quinzaine d’années… 

 

La photo africaine aura-t-elle toujours besoin de l’Occident pour avancer ?

Vous abordez un sujet sensible, et qui m’est cher. Non, la photographie africaine n’aura pas toujours besoin de l’Occident pour avancer. Elle s’émancipera. Bien sûr personne ne peut prédire quand. Elle ne sera pas reconnue toute seule, bien que certains chefs d’État (comme Nymeri autrefois au Soudan) aient donné d’une façon surprenante une place de premier plan à la photo. Je pense qu’elle sera promue avec d’autres arts. Mais ce n’est pas pour demain, tant des régimes autoritaires africains s’en contrefichent. Les acquis positifs viennent en général pour l’instant du secteur privé, ce qui après tout est une excellente chose.

 

Vincent Godeau, La photographie africaine contemporaine, éditions de L’Harmattan, Paris, 392 pages, 38,50 €

Propos recueillis par Marie Moignard

Man Ray Mabel et Lali au bal blanc 1930 ©Alberto Ricci 23 x 16,5 cm Epreuve argentique d'époque monté sur papier fort Œuvre exposée par : THESSA HEROLD
Man Ray Mabel et Lali au bal blanc 1930 ©Alberto Ricci 23 x 16,5 cm Epreuve argentique d'époque monté sur papier fort Œuvre exposée par : THESSA HEROLD
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