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Julie Cockburn, photo haute couture

Régulièrement exposée à Paris Photo, Julie Cockburn attire les regards avec ses photos vintage brodées de dessins graphiques aux couleurs pétillantes. Elle publie «Stickybeak», sa première monographie aux éditions Chose Commune, et nous parle de sa technique.
par Clémentine Mercier
publié le 5 novembre 2019 à 17h30

Représentée par la Flowers Gallery à Londres, Julie Cockburn brode des dessins ultra-graphiques sur des photos vintage anonymes. Jusqu'à présent, il n'existait qu'une seule édition japonaise des œuvres de cette artiste britannique basée à Londres et née en 1966. Repérée par l'éditrice Cécile Poimboeuf-Koizumi, Julie Cockburn publie cet automne sa première monographie personnelle (éditions Chose Commune) : le ravissant Stickybeak, avec un oiseau brodé en couverture.

Un Stickybeak désigne le bec d'un volatile mais surtout, en anglais argotique, une personne fouineuse, qui se mêle de ce qui ne la concerne pas. Fureteuse, c'est un peu ce qu'est Julie Cockburn qui compte parmi ses ancêtres un expert de l'espionnage, officier au MI5. Sans cesse à l'affût, l'artiste chine sur Ebay des photographies datant des années 40 aux années 60 : des portraits, des paysages, des architectures… Avec des techniques traditionnelles comme la broderie, le découpage ou le collage, elle magnifie ces photos abandonnées pour leur donner une seconde vie, ajoutant une couche de mystère à leur passé oublié. Julie Cockburn est ainsi passée maîtresse en l'art du camouflage bariolé, séduisant et ésotérique. Elle revient, pour Libération, sur douze ans de travail.

«Aéroplane» de Julie Cockburn, Courtesy Flowers. Chose Commune

Comment procédez-vous pour réaliser vos images ?

J'ai tendance à planifier mes interventions par ordinateur. Je scanne la photo originale que je souhaite embellir et dessine ensuite dessus grâce à Photoshop. Avec cette méthode, j'ai l'entière liberté de jouer avec les formes et les couleurs sans altérer la photo originale. Je solidifie toutes mes images avec une couche de tissu au dos des tirages puis je transfère le dessin final sur la photo en cousant à la main. C'est un travail très méticuleux qui, au fond, est plus chronophage que difficile, mais il m'a fallu des années et de nombreuses erreurs avant d'obtenir la finition que je souhaitais. J'utilise de toutes petites aiguilles très fines pour ne pas déchirer le papier et du fil de coton non dédoublé. Je n'ai pas encore trouvé de machine qui pouvait avoir ce rendu… Malheureusement pour moi !

Combien de pièces produisez-vous par mois ?

Cela dépend. Si je prépare une expo, je peux réaliser trois ou quatre broderies par mois. C'est un travail très exigeant sur le plan physique donc si je n'ai pas de délais de rendu serrés, je romps la monotonie de la broderie en faisant des expériences dans mon studio, en essayant des matériaux et des techniques différentes qui me conduisent souvent à de nouvelles séries d'images.

«Honeymoon period» par Julie Cockburn, Courtesy Flowers. Chose Commune

Qu’avez-vous appris à l’école Central Saint Martin’s (Londres) qui vous sert encore aujourd’hui ?

A l'université, nous avons surtout été encouragés à utiliser tout et n'importe quoi comme matière. La sculpture s'était depuis longtemps émancipée du bronze, de l'acier ou du plâtre et j'ai eu envie de travailler avec des photographies, des cartes postales et des catalogues trouvés, de m'affranchir de leur représentation et les considérer comme des objets plutôt que comme de simples images. J'ai appris à broder avec ma grand-mère très jeune et je faisais de la broderie comme violon d'Ingres. Cela m'a paru évident de combiner les deux.

«Waterfall» de Julie Cockburn, Courtesy Flowers. Chose Commune

Quels sont les commentaires qui reviennent le plus souvent à propos de votre travail ?

Je crois que les gens sont attirés par l'aspect «fait main» et j'adore quand les spectateurs se penchent sur mes photos pour en observer les menus détails comme les points de couture ou les collages. Les images originales que je transforme sont génériques – des portraits, des paysages, des natures mortes – donc on peut s'y projeter. Mes interventions bouleversent la planéité des images, et – c'est mon but –, la nostalgie inhérente à ces photos anciennes. Je les modifie en contrebalançant leurs teintes douces et passées avec un graphisme et des couleurs chatoyantes créées par ordinateur. L'une des raisons pour lesquelles mon travail est si visible sur Instagram, c'est que chaque image existe individuellement sur un écran et n'a pas besoin de reposer pas sur une séquence de photos dans une galerie.

«Amour» Julie Cockburn, Courtesy Flowers. Photo présentée à Paris Photo

Votre travail séduit indifféremment hommes et femmes ?

Oui, je crois que tout le monde peut s'y intéresser et chaque sexe y apprécier un aspect différent. C'est vrai que la broderie est un passe-temps traditionnellement féminin mais certains hommes l'utilisent avec beaucoup de succès, comme Maurizio Anzeri ou Michael Raedecker.

Diriez-vous qu’il y a un retour de l’artisanat ?

Je pense que l'artisanat est en pleine renaissance – la céramique et le verre prennent par exemple une grande place dans la pratique des artistes aujourd'hui et comme la plupart de ce que nous voyons aujourd'hui est numérique, via les écrans, il y a un grand désir pour les choses faites à la main, le contact humain, les ratés, les marques et empreintes de doigts.

Stickybeak de Julie Cockburn, 2019, 88 pp., (français-anglais) éditions Chose Commune, 40 euros

Pendant Paris Photo, stand des éditions Chose commune à Offprint, Beaux-arts de Paris, du 7 au 10 novembre.

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