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Le tour des tombés pour la France

Tous les mardis, focus sur un livre photo. Cette semaine, «Stèles», de Patrick Tourneboeuf : un regard intime sur les monuments aux morts.
par Clémentine Mercier
publié le 16 octobre 2018 à 15h19

Ils sont si familiers qu’on ne les remarque plus. Au centre des villages, près des mairies, à côté des églises ou sur les places publiques, les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale font tellement partie du paysage urbain qu’on ne les regarde pas souvent. Le photographe Patrick Tourneboeuf en a décidé autrement, puisqu’il publie

Stèles,

aux éditions Diaphane, un discret ouvrage en l’honneur de ces cénotaphes devenus invisibles. Accueilli en résidence de création par l’association Diaphane, Patrick Tourneboeuf s’est récemment penché sur les monuments de la région Hauts-de France mais l’ouvrage, paru en septembre, rassemble 50 monuments disséminés en France.

A Charleville-Mézières (Ardennes). Photo Patrick Tourneboeuf

L’idée de cette série est née il y a plus de quinze ans. Parmi les 36 000 monuments qui émaillent le territoire, Patrick Tourneboeuf a commencé à photographier de façon rigoureuse ceux qu’il trouvait sur son chemin dès 2003. Au hasard de ses reportages ou de ses travaux de commande, il s’arrange pour consacrer un peu de temps à la mémoire des disparus. A la nuit tombante, il pose un appareil de grand format face aux statuaires. Le point de départ est une histoire personnelle : Patrick Tourneboeuf, à l’âge de 10 ans, constate que son arrière-grand-père ne figure pas sur le monument aux morts. Abel Paul Tourneboeuf, mort au combat, n’est inscrit sur aucun édifice de la région. Décédé début août 1914 après avoir quitté la ferme familiale de Dollon, dans la Sarthe, le combattant Tourneboeuf n’aura pas la chance d’avoir son nom gravé sur la pierre avec les autres disparus, ses voisins. La ferme familiale étant aux confins de trois régions, aucune commune n’a pris la peine de lui rendre hommage. Devenu adulte, le photographe Tourneboeuf célèbre son aïeul à sa façon. Au crépuscule, il enregistre les monuments grâce à une chambre photographique et des pauses longues, sensible à la nuit qui tombe et aux fantômes qui se glissent dans une atmosphère entre chien et loup.

STELES - Chamonix 22 -
Monument aux morts, 
Commune de Chamonix, Haute Savoie. France.
Inauguration: 18/09/1921	
Sculpteur(s) : VEREZ (Georges, Armand)
Architecte : DUPUPET (Franois)
Matiere : Bronze

A Chamonix (Haute-Savoie). Photo Patrick Tourneboeuf

Au fil des pages de Stèles, une litanie de mémoriels figés s'offre à notre regard : en pierre, marbre ou en bronze, à Lodève, à Cramaille, à Villers-Cotterêts, à Chamonix ou à Gentioux-Pigerolles, les stèles se hérissent dans leur solitude et leur panache décati. Il faut se pencher sur chacune d'elles pour découvrir leur histoire – un petit cahier avec les légendes des photos est donné avec le livre – parfois dans la liste des noms inscrits sur l'obélisque, toute une fratrie est décimée, parfois l'artiste a représenté une veuve et son enfant ou toute une famille déposant une gerbe à la mémoire du père disparu. Sur ces socles, les poilus en bronze sont sortis de leurs tranchées pour être représentés vaillants, conquérants. Avec un peu d'imagination, on entend presque les paroles de La victoire en chantant sortir de leur bouche.

STELES - Saint Urbain 45 -
Monument aux morts, 
Commune de Saint Urbain. Finistere. Bretagne. France.
Inauguré en 1927, offert au village par le sculpteur                  
Albert ROZE (sculpteur)
Ferdinand BARBEDIENNE (fondeur)  

A Saint-Urbain (Finistère). Photo Patrick Tourneboeuf

Souvent œuvres d'artistes et d'artisans locaux (fondeur, marbrier, sculpteur…), parfois produits en séries pour plusieurs villages, les monuments mélangent les styles, les symboles (coq gaulois, feuille de laurier, croix de guerre, casque, obus…) et les époques. Certains sont des millefeuilles modifiés au fil des conflits et remontent à la guerre de 1870. D'autres sont érigés après la Seconde Guerre mondiale et certains mentionnent la guerre d'Algérie. Rares sont les monuments qui montrent l'agonie ou la souffrance. Patrick Tourneboeuf n'a toujours pas photographié le monument de la Sarthe sur lequel aurait dû figurer son grand-père. «Peut-être que j'aurais fini cette série le jour où je le prends en photo», nous dit-il. Aux dernières nouvelles, la série est toujours en cours, le livre Stèles étant un point d'étape dans ce recensement de longue haleine.

A Plehedel (Côtes-d’Armor). Photo Patrick Tourneboeuf

Stèles de Patrick Tourneboeuf, Diaphane, 80 pages, 25 euros.

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