Artistes

Jacqueline Gueux : née en 1944 à Avesnes/Helpe, Hauts de France, vit et travaille à Verrières en Anjou.

Accès à :
La monochromie sans la monotonie

La monochromie sans la monotonieMamusée, Congrier, 53800

Prendre la pose

Prendre la poseMaison des artistes, rue d'Orée, 72800 Le Lude, Le Lude Commune Nouvelle

Comment le dire, 2020

Comment le dire, 2020Le quai 294m9, La gare, Saint-Maurice-lès-Châteauneuf, 71740

PLÂTRE
11:41

PLÂTRE, 2020TALM , Angers

Voir à plusieurs niveaux

Voir à plusieurs niveaux, 2020Atelier Legault, Ombrée d’Anjou

L’Albatros

L’Albatros, 2020 La gare / Le Quai 294M9, St-Maurice-lès-Châteauneuf

Voir à plusieurs niveaux, prendre la pose

Voir à plusieurs niveaux, prendre la pose, 2019Moltkerei Werkstatt, et KUNTWERK KÖLNE.V. , Cologne, Allemagne

Prendre la pose /Musée Départemental Matisse

Prendre la pose /Musée Départemental MatisseMusée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis

music
1,25

music, 2016Espace Saint Louis , 12 mars>avril 2016, Ville Haute/ Bar-le Duc

Expositions personnelles

2022

  • «Prendre la pose», installation et résidence, Maison des artistes, Le Lude

2020

  • «Plâtre», expérimentations et propositions plastiques à Rue sur Vitrine, Ecole Supérieure d’art et de design, TALM, Angers
  • «l’Albatros», Esox lucius, La gare/Le Quai 294mg, Saint Maurice les - Châteauneuf
  • «Voir à plusieurs niveaux», installation, Atelier Legault Pouancé, Ombrée d’Anjou

2018

  • «Souvent nos réalités sont des désirs», Carte blanche à Jacqueline Gueux qui invite Annely Boucher, Galerie RDV, Nantes

2017

  • «Prendre la pose», accrochage de la série des 20 photographies Rencontre avec le public lors de la nuit des Musée, Musée Matisse Matisse, le Cateau-Cambrésis
  • «Prendre la pose», vitrine MDV, Arras

2016

  • «music», Espace Saint Louis Ville Haute/Bar-Le-Duc

2015

  • «Vidéo Project», parcours artistique sur le territoire, Galerie A, Denée, Artothèque et Galerie 5, Angers

2014

  • «Entracte # 4», soirée projection dédiée aux arts du mouvement, Pépinière Artistique, Daviers 26 mai, Angers

2013

  • «Donner lieu – en même temps», Installation, performance, Le Lieu Dit, Saint Mathurin/Loire

2010

  • «Partages d'ici», Exposition Musée des Beaux-arts, Tour 41 à Belfort Changer l’eau, installation- Performance Galerie du Granit Scène Nationale Belfort.

2009

  • «1’25 d’Istanbul», vidéo projection MDV, Arras
  • «lelapinquicausatantdesoucis», Galerie Les 3 Lacs, Université Lille 3 (Villeneuve d'Ascq).

2008

  • «Sans titre et Karaoké», La plus petite galerie du Monde (ou presque), Roubaix.

2004

  • «Série des édifications», exposition évolutive,... MDV vitrine Arras.

2003

  • «Echange d’ici», E.R.O.A. Lycée Pierre Forest, Maubeuge
  • «Paszport Projeckt», Sttetin, Pologne

2001

  • «Installation visuelle et sonore», Galerie Espace 36 et Bibliothèque, Saint Omer.

1999

  • «Performance à A.d.K.», Bergisch Gladbach, Cologne, Allemagne
  • «série des romantique», Installation in Rathaus Bensberg, Cologne, Allemagne.
  • «Ce qui est bon pour toi n’est pas forcément bon pour moi», Vitrine “Dehors-Dedans” Frontière, Lille-Hellemes.

1998

  • «A day in the life», Médiathèque, Trith-St-Léger.

1991

  • «Alice», Galerie Michèle Zeller, Installation, Bern, Suisse.

1989

  • «Diane au bain», Galerie Michèle Zeller, Installation, Bern, Suisse.

Expositions collectives

2022

  • «DUO», avec Aurélien Imbert, Maison le 2/Vitrine Paulin, Solre le Château
  • «Elles font l'art», l’artothèque l’Inventaire, Hellemmes

2019

  • «Moltkerei Werkstatt et au Kunstwerk», Cologne, Allemagne
  • «Parcours Art Vidéo», Biennale 2019, Angers

2018

  • «Dans le cadre de Correspondances», (vidéo), Angers/Austin, Musée des Beaux-Arts d’Angers et galerie LTK, Angers

2017

  • «Biennale vidéo project, Enrouler l’eau», Saint Malo

2016

  • «Correspondance», Entracte # 20, Collectif Blast, espace culturel de l’université d’Angers.

2015

  • «I COMME ICART», exposition proposée par l’Ecole d’arts plastiques de Denain, avec la participation de l’E.S.A.D de Valenciennes et le FRAC, NPDC, salle Baudin, Denain.

2014

  • «Grand Bazar, L’hôte, la table et les Invités», organisé par Aurélien Imbert et Monique Chiron, à la Galerie du Granit et impro. au piano avec Anne Durez, lors du finissage sur la scène du Théâtre, Belfort
  • «L’art à la rue», Cité Nature, Arras
  • «Migrations», Le Parvis, Arras

2013

  • «tu cabanes partout à Boëseghem, habiter ICI», résidence, association Parti-pris, Participation au projet Mémoires d’éléphants, initié par Jean-Paul Sidolle,Nantes

2011

  • «PASSE PRESENT # 3», Musée des Beaux-Arts, Calais, L’Appartement d’Alice, Installation, Alice et Hélène
  • «Présentation des œuvres de la collection l’Inventaire», artothèque du Nord-Pas de Calais (Lille Five)

2010

  • «Découvrir/ Recouvrir», Oulan Bator et le sous –sol archéologique de la Cathédrale d’Orléans. Association Le pays où le ciel est toujours bleu (Orléans)
  • «+10», Espace 36 association d’art contemporain ICI au café Gontran Tentative d’évasion La Coupole (Saint – Omer)
  • «Portes ouvertes des ateliers d’artistes», l’Inventaire, (Lille Five)

2009

  • «Material und Metapher –sechs Positionen», Performance, installation.A2A Atelierhausgalerie im TBG, Technologiepark, Haus 24, D-51429 Bergisch Gladbach – Moitzfeld
  • «FUTUR PROCHE», M.J.C, Maison des Arts, Sin-le-Noble

2008

  • «Déplacement», exposition d'une partie de la collection de la Donation pour le Crossing Muséum, Solaimany, La Ferme d'En Haut, Villeneuve d’Ascq
  • «Portes ouvertes des ateliers d'artistes», cent lieux d'art, Liessies

2007

  • «Portes ouvertes des ateliers d'artistes», cent lieux d'art, Liessies
  • «Exposition La Donation la Pluie d’Oiseaux La Piscine», Musée d’Art et d’Industrie André Diligent, (Roubaix)

2006

  • «DEFEND/ DEFENDRE», Saint-Omer
  • «Portes Ouvertes des ateliers d'artistes Les Moyens du Bord et cent lieux d'art», Morlaix, Finistère
  • «DEFEND/DEFENDRE», Saint-Omer

2005

  • «DEFEND/DEFENDRE», Deal Castle, Kent, Angleterre
  • «Artistes en Liberté», Théâtre de la verrière, Lille, France
  • «De quelques mesures», Espace USTL Culture, Université de Lille 1, Villeneuve d’Ascq France

2004

  • «On a choisi Rubens», Palais Rameau, Lille 2004. France
  • «One week, one text a day», un texte par jour, cent lieux d’art, l’été en Slovaquie en partenariat avec AT Home Gallery, Samorin, Slovaquie
  • «Paszport Projeckt», Cent lieux d’art, Liessies France

2003

  • «l’anniversaire», Galerie les Contemporains, Bruxelles, Belgique
  • «Jeter la terre au ciel», Installation, performances, Cent lieux d’art, l’été, Parc Départemental de l’Abbaye de LIESSIES.

2002

  • «PASZPORT», projekt des Adk. Bergisch Gladbach, Cologne, Allemagne. Kulturhaus Zanders.
  • «Chuchotements», Carte blanche à Monac1, installations visuelles et sonores Espace 36 ST Omer, France.
  • «Festival Régional de l’audiovisuel de L’Acharnière. », Installation vidéo.

2001

  • «PLAY TIME», rencontres vidéo, Dunkerque, France

1999

  • «Rapports entre ça et ça», Maison de la laïcité C.A.L., Charleroi, Belgique
  • «Rapports entre ça et ça», U.S.T.L. Culture (Université des Sciences) Médiathèque Municipale, Villeneuve d’Ascq, France

1997

  • «Chambres, un film immobile», Galerie Alessandro Vivas, F. Paris

1994

  • «Nous n’irons plus au bois», installation à la galerie Les Contemporains, Bruxelles, Belgique

1992

  • «ART 21 ' 92 Bâle», Foire Internationale d'art. Galerie Michèle Zeller, CH. Berne

1991

  • «ART 21 ' 92 Bâle», Foire Internationale d'art. Galerie Michèle Zeller, CH. Berne

Résidences

2022

  • «prendre la pose», Drac, Maison des artistes, Le Lude

Bourses, prix, aides

2020

  • Aide individuelle à la création 2020, Direction régionale des Pays de la Loire

1996-2001

  • Bourses FIACRE, Aide individuelle à la création, Ministère de la culture du Nord Pas de Calais.

1985

  • Séjour à Chicago U.S.A., à propos " Exhibition in Exhibition".

1982

  • Séjour à New-York. USA. à propos de "Hélène Environnement".

1971

  • Prix Weill, Dessins, Institut de France Paris.

1968

  • Logiste au Concours de Rome.

1966

  • Jeune sculpture, Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. 1er prix Chenavard de sculpture. ENSBA, Paris. Prix d'art Monumental .ENSBA, Paris. Logiste au Concours de Rome.

Publications, diffusions

2022

  • «ESOX LUCIUS», MMII-MMXXII ISBN: 978-2-9544970-3-7

2021

  • «L'Albatros », édition Esox Lucius, ISBN 978-2-9544970-2-0

2020

  • «Ecarts / Divers / Vielfältig / Anders», pages 22 à 25, Collectif BLAST Angers

2018

  • «Mille scénettes pour un environnement», Portfolio 2001-2018

2017

  • «Revue PRATIQUES N° 78», les cahiers de la médecine utopique, Essence et sens du soin. Juillet 2017.Présence dans la revue de 6 photo- graphies Prendre la pose, de Jacqueline Gueux, choisies par et accompagnées d’un texte de Philippe Bazin.(couverture + pages 4, 5,21,39,59,79)

2015

  • «Le dessin parle à la sculpture / La sculpture parle au dessin», Utopie – Livre 1- Acte 1, 2015. Le dessin parle à la sculpture/La sculpture parle au dessin. Sortie en mars 2016 pour l'exposition "music". Cette édition entre dans l’articulation du travail (performance, mise en scène, écriture, son). Elle est présentée comme ponctuation de l’installation sonore et visuelle.

2014

  • «L’art à la Rue», Catalogue Cité Nature, Arras, pour les 10 ans de MDV
  • «Entracte # 4», Catalogue de La collection XEROS avec le Collectif Blast

2010

  • «+ 10 Dix ans de création et de territoire», Espace 36 association d’art contemporain, pages 62 - 66 et 82

2009

  • «L’album – Légendes Urbaines», le lapin qui nous causa tant de soucis, Une compilation imaginaire de Jacqueline Gueux et Nicolas Surlapierre

2008

  • «Une Sculpture de l'Idée», Jacqueline GUEUX, livre monographique, textes de Nicolas SURLAPIERRE et de Christiane VOLLAIRE. Edition Snoeck, production cent lieux d'art Revue du réseau 50° nord N°0, pages 98 à 101

2007

  • «Une Utopie édifiante», Octobre 2007 Pages 51, 123, 138 La Donation La Pluie d'Oiseaux Edition La Piscine, Musée d'Art et d'Industrie André Diligent Octobre 2007 Pages 51, 123, 138 DVD Defend/Défendre Deal Castel/ St Omer espace 36

2005

  • «Edition cent lieux d’art / sans lieux d’art», 1997 – 2004. Pages 26/27.36/37.45/55
  • «Jeter la terre au ciel», Edition Cent lieux d’art Jacqueline Gueux/ Michaël WITTASSEK

2004

  • «Catalogue de l’exposition, On a choisi Rubens», Palais Rameau, Lille 2004, pages 31 à 38

2003

  • «Revue vidéo : Quoi ma guerre», MJC Terre Neuve, Dunkerque

2002

  • «Revue ddo n°48», pages 36 et 37

2001

  • «Revue ddo n°44», pages 36 et 37

2000

  • «Revue ddo n°42», page 26
  • «“Les véritables enjeux du XXlème siècle”», Participation au journal de 1’ U.S.T.L. Culture (Université des Sciences)

1999

  • «Catalogue de l’exposition collective organisée par I’U.S.T.L. (Université des Sciences)», Médiathèque Municipale, Villeneuve d’Ascq, France
  • «Revue Kultur Beiums, “ Bonjour la France “», mars-avril , page 6

1998

  • «Catalogue de l’exposition “A day in the Life” », à la Médiathèque de Trith St Léger, France

1992

  • «Vidéo : A.C.C.A.A.N. / Calv'Art « MAR RE NOSTRUM"», (performances)
  • «Catalogue ART 23 '92», Bâle , Galerie Michèle Zeller

1989

  • «Revue d'art contemporain +- 0», N° 53

Workshops, enseignement

2022

  • Workshop, Jacqueline Gueux, Prendre la pose, Drac, Education National, CLEA avec le PETR Pays Vallée du Loir, La commune du Lude

2011

  • Workshop La crise, Jacqueline Gueux et Gilles Fournet à l’Ecole des Beaux-Arts de Valenciennes du 14 au 18 novembre.

2008

  • Mots et lettres dans les œuvres plastiques, intervention à l'I.U.F.M. Douai

2007

  • Intervention ( 27ème heure artistique )à l'I.E.N. de Maubeuge. A propos du projet Defend/Defendre, Deal Castle,Kent, Angleterre / Saint- Omer, France

2005

  • Intervention à l'école Régionale des Beaux Arts de Dunkerque - Voir plus loin
  • Enseigne à l'école supérieure des beaux Arts de Valenciennes
  • Intervention à l' Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles. Le paysage à chaque fois, Du potager du Roi au supermarché le plus proche...

Écoles, formations

1969

  • Diplôme National de l' ENSBA, Paris.

GRAVITER

Sur l’œuvre de Jacqueline Gueux

Jacqueline Gueux n’est pas seulement une artiste, elle est aussi une œuvre. Elle est le vecteur protéiforme d’un mouvement perpétuel de déplacement, de disjonction des codes, auquel nulle assise sédentaire ne peut être assignée. Sa voix grave, au phrasé parfaitement articulé, laisse pourtant toujours les mots en suspens et les phrases en déshérence, et sa silhouette précise semble avoir plus de disposition pour l’envol que pour la marche. C’est justement qu’elle établit toujours un drôle de rapport à ce qu’on pourrait appeler, dans tous les sens du terme, la gravité.

1. Usages de la gravitation

De Chaplin, de Keaton, de Langdon, on peut dire qu’ils sont graves. Concentrés, méticuleux, précis, dessinant le mouvement de leur silhouette comme si elle devait aimanter en elle tous les effets de la gravitation. C’est de cette gravité-là que s’élabore l’œuvre de Jacqueline Gueux. D’une sorte de rapport essentiel et sans déchet à la précision des mots comme à l’économie des gestes. Une précision d’une telle acuité qu’elle fait aussitôt émerger l’équivoque. Autour des mots comme autour des choses, les lois de la gravitation la saisissent toujours en apesanteur, suspendue dans le perlé musical d’Eric Satie ou les espiègleries logiques de Lewis Caroll.
Aérienne, disruptive et pourtant jamais désorientée, son œuvre tient à un fil. C’est celui du dessin, dont la ligne trace une continuité graphique qui peut devenir écriture. A cet univers en gravitation, la calligraphie des « Ici » assigne ainsi une multiplicité d’emplacements ironiques, qui sont autant de délocalisations : la figure à pleins et déliés du nomadisme. Jacqueline Gueux habite, quelque part entre Jarry et Laforgue, quelques uns de ces espaces inassignables dans lesquels aucun corps réel ne peut trouver sa place. C’est sans doute pourquoi les corps de ses œuvres ont l’épaisseur de la feuille de dessin. C’est le cas pour Diane au bain, ondulant sur le rebord de la baignoire. C’est le cas pour ces silhouettes découpées, mais aussi pour ces volumes tirés du plan, ou ces objets détourés posés sur des colonnes sans fondement.

2. L’écart burlesque

« Ce qui m’intéresse, dit-elle, c’est l’histoire du déplacement ». Non pas la chose, mais le mouvement par lequel elle se rend inadéquate à elle-même et disjoint son identité. « Effacer le plancher, essuyer la mémoire », a-t-elle écrit dans une installation. Et tout à coup, le chiasme stylistique a subverti la trivialité du geste ménager pour lui insuffler l’envergure d’une métaphore.

Dans un essai récemment paru sur le cinéma burlesque, Emmanuel Dreux insiste sur la valeur fondatrice du geste dans l’esthétique burlesque, sur sa fonction constitutive de l’essence même du genre. Et il en définit la puissance existentielle :

« Tous les personnages que j’ai ici dépeints créent et creusent un écart pour ne jamais le réduire : ils laissent le spectateur face à l’étrangeté radicale d’une façon d’être, de se mouvoir, d’agir et de réagir. »(1)

C’est exactement cet écart irréductible que creuse l’œuvre de Jacqueline Gueux, livrant tout aussi subtilement le spectateur à la même « étrangeté radicale », par ce que l’artiste appelle elle-même un « déplacement ». Car ses installations ne déterminent la redoutable précision de leurs emplacements que par cet effet de déplacé qui en saisit les silhouettes et les éléments dans une sorte de hors-limite, d’écart à la fois très minime et très abyssal, qui conduit au vertige. C’est cet écart aussi qui fait dire à Gilles Fournet : « Elle écrit à deux mains, comme si elle était double. »
Le burlesque est souvent muet, et, quand il se sonorise, fonctionne davantage par le rythme musical que par la parole : au décalé du geste ne peut répondre aucun langage proprement articulé, mais au contraire ce décalé rythmique de la syntaxe, ce métalangage syncopé qui émerge tout à coup, au détour des Temps modernes de Chaplin, dans cette fin d’un muet qui se refuse encore à devenir parlant.

3. La ritournelle

On est dans quelque chose de l’ordre de la ritournelle, telle que la chante Gavroche en montant sur les barricades, ou telle que la penseront Deleuze et Guattari. Dans Mille Plateaux, ils en illustrent le chapitre avec la Machine à gazouiller de Paul Klee, sorte de modèle ancestral en 1922 de ce que sera la série télévisée des Shadocks à la fin des années soixante. Ainsi saisissent-ils cette ritournelle dans son origine enfantine :

« Il se peut que l’enfant saute en même temps qu’il chante, il accélère ou ralentit son allure ; mais c’est déjà la chanson qui est elle-même un saut : elle saute du chaos à un début d’ordre dans le chaos, elle risque aussi de se disloquer à chaque instant. Il y a toujours une sonorité dans le fil d’Ariane. Ou bien le chant d’Orphée. » (2)

L’énoncé est si riche que son déploiement pourrait à lui seul constituer la totalité d’un texte sur le travail de Jacqueline Gueux : accélération et décélération des rythmes, passage du chant au saut, jonglage entre ordre et désordre, entre cosmos et chaos, à la manière de Tadeus Kantor esquissant le geste ordonnateur du chef d’orchestre sur l’horizon infini d’une plage vide. Mais aussi menace constante de la dislocation : ce que dit aussi bien la fragilité des matériaux que l’instabilité des formes. Le papier faisant sculpture, l’équilibre précaire des dispositifs d’installation, font surgir devant nous cette obstination enfantine, cette détermination à faire, selon le titre d’un ouvrage de Durras, Barrage contre le Pacifique. Et c’est précisément cette tragique détermination qui produit, dans toute sa profondeur violente, l’effet de dérision.
Une force invisible relie ainsi les objets et les installations précaires de Jacqueline Gueux, ses dessins déconstruits, ses performances collectives et les scénographies radicalement épurées de ses videos, nous donnant à saisir ce « fil d’Ariane » qui engage un début d’ordre dans le chaos. Fil continu comme le tracé d’un électrocardiogramme : le geste du dessin trace la ligne sismique qui nous relie à l’énergie du monde, et fait continuité d’une œuvre qui se présente d’abord dans ses déphasages et ses discontinuités. Car, à la manière du « corps sans organes » d’Artaud, cette oeuvre apparaît beaucoup plus comme la saisie continue d’impulsions discontinues, que comme l’architecture structurée d’une totalité.

4. Les sonorités du fil d’Ariane

C’est cette dimension sismique, électrique, qui rend sonore le fil d’Ariane, comme la ritournelle ininterrompue qui renvoie, dans l’espace chaotique du monde, à la protection du rythme. Le « chant d’Orphée » de Jacqueline Gueux, c’est cette musique intérieure que l’on n’entend jamais, mais dont on perçoit secrètement la mélodie syncopée, à la Satie ou à la John Cage, dans les apparitions protéiformes de son œuvre. Son du déchirage, du découpage, vrombissement du chariot de Dream Wagon, ces bruits uniques, prélevés, ciselés, dissociés du bruit du monde, fins ou bruts, ne constituent pas un fond sonore, mais l’autre manifestation du tracé, la détermination elliptique d’un monde auditif.
Et l’usage de l’écriture des aveugles, dans son œuvre, sera la manifestation de nos formes multiples de surdité à la perception. De ses panneaux de braille en grand format, elle dit : « C’est fait pour les aveugles qui voient clair, mais ne voient rien ». Elle en use ainsi de façon métaphorique, exactement comme le faisait Diderot en écrivant la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, qui l’enverra illico, par lettre de cachet, au donjon de Vincennes. Dans le régime rimbaldien aussi, le « voyant » est celui qui ne voit rien de ce qu’on est censé voir, parce qu’il voit beaucoup plus loin. Il a basculé, à la manière de l’Alice de Lewis Caroll, « de l’autre côté du miroir ».

5. L’épluchure et l’intempestif

Hélène, Diane, Alice, autant d »imaginaires du féminin, Celui du désir de séduction, celui de la détermination, celui de l’innocence voyante. Mais les mythologies sont ici en permanence dévoyées, détournées de leur objet pour faire sens ailleurs, déterritorialisées dans un espace d’installation qui les renvoie à leur étrangeté ou les rend, pour employer un mot de Nietzsche, « intempestives ». De même, la video des oies joue à la fois de l’écart burlesque de son objet, et du caractère inquiétant du surgissement de la forme blanche. La règle d’or de l’œuvre de Jacqueline Gueux paraît être de ne jamais rien rendre explicite, et de conjuguer une mécanique de précision quasi-mathématique à l’indéterminé constant d’un flottement. A bien des égards, son geste d’artiste est celui de l’épluchure : elle vide, elle creuse, elle élague, et fait œuvre du produit de cet épluchage pour le reconstituer comme sculpture dans un espace qu’il ne peut pas habiter. Cet inhabitable habite aussi l’œuvre d’Etienne Martin, ou celle de Félix Gonzalès-Torrès.
C’est de cette façon qu’elle travaille aussi sur les mots, avec la même précision désinvolte qui les vide de leur poids ordinaire pour y faire entrer la circulation aérienne du jeu : « La terre est ronde mais le monde est plat », « Il n’y a rien à voir mais il y a tout à espérer », « Quand pensez-vous ? », autant de formules à la fois transparentes et énigmatiques, dans lesquelles le jeu sur les mots est dans l’étroite corrélation de leur choc et de leur évidement, que l’artiste scénographie dans la transparence de leur support ou dans la localisation insolite de leurs énoncés.

Ce travail ne cesse ainsi de nous interroger sur les conditions mêmes de notre perception, convoquant systématiquement tous les sens. Lisant la Physiologie du goût de Brillat-Savarin, Jacqueline Gueux y détecte un étonnement de la chair, de la fibre, et en écrit une performance qui construit des chocs et travaille sur l’inconfortable. C’est de cet inconfort qu’est tissée toute son œuvre, et de l’ironie qu’il génère.
« Désormais, j’interviendrai », écrivait Michaux dans une dérision programmatique. Jacqueline Gueux ne cesse d’intervenir dans des espaces et dans des temps qu’elle ne vise nullement à contrôler ou à s’approprier, mais seulement à investir et à perturber. Selon Gilles Fournet « c’est une Walkyrie ». Et ses interventions de déesse guerrière provoquent rudement notre imaginaire, rendant tout à coup inquiétant le mouvement même de la gravitation. Ainsi cette œuvre, aussi forte qu’insaisissable, nous déroute-t-elle en nous enfourchant sur sa monture dans le temps même où elle s’éclipse et disparaît pour reparaître ailleurs, où nous ne sommes pas encore, nous laissant toujours interloqués.

Notes :
1. Emmanuel Dreux, Le Cinéma burlesque ou la perversion par le geste, L’Harmattan, 2007, p.203
2. Deleuze et Guattari, Mille Plateaux, Minuit, 1980, p.382

© Christiane Vollaire

Christiane Vollaire

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in: Une sculpture de l'idée, Jacqueline Gueux, ed. Snoeck, 2008

Pratiques n°78, juillet 2017

Après des décennies de sculptures, d’installations, de dessin, de vidéos, etc., Jacqueline Gueux, à cause d’un déménagement de toutes ses œuvres, revisite ses sculptures réalisées dans les années 60. Elle sortait alors de l’atelier d’Etienne Martin aux Beaux-arts de Paris. Et ce retour sur pièces passe par la photographie et le corps. La performance. La danse, presque.Si Jacqueline Gueux n’est pas connue du grand public, parfois pas plus que par certains spécialistes, c’est sans doute que son nom l’incita toute sa vie durant à la plus grande modestie. Elle consacra en revanche une énorme énergie à transmettre ce qu’elle avait reçu et expérimenté à ses étudiants. Elle consacra une autre énorme énergie à faire connaître les œuvres d’une multitude d’artistes, certains tout jeunes sortis d’une école d’art, d’autres déjà connus voir célèbres.Maintenant, depuis son atelier en Anjou, elle met toute son énergie, qui est immense, à reconsidérer son travail passé, ce qui donne un ensemble de photographies d’une fraîcheur et d’une intelligence inégalées. Jacqueline Gueux est en pleine conversation avec son double posé sur un socle de transport, encore emballé sous papier bulle, ou alors déjà à nu sur le sol. Son travail procède d’une véritable clinique, non seulement par les habits blancs qu’elle endosse, mais surtout par l’esprit d’analyse que ses poses révèlent: c’est avec la plus grande ironie qu’elle redouble les poses qu’elle inventait pour ses sculptures, semblant à la poursuite d’une forme qui la fuit. Sans doute se demande-t-elle comment elle a pu produire un tel registre de matières et d’aspérités pour un bestiaire on ne peut plus domestique. Jacqueline Gueux prend soin de son travail, elle le scrute encore, elle l’analyse en se livrant au regard aérien de l’opérateur. Elle semble alors jetée par terre, se roulant de rire, en convulsions burlesques inattendues. Ainsi, dans ces photographies, le soin est-il indirectement questionné. Tout d’abord, l’espace blanc, la blancheur, dans le costume de l’artiste et le plâtre, renvoient à la question de l’hygiène, de la propreté, de l’asepsie telles que la société médicale les a conçues depuis des années. Alors qu’autrefois la blouse blanche était portée pour révéler rapidement les sanies, cette «couleur» s’est imposée comme un idéal symbolique de la propreté, débordant largement le monde médical et montrant combien nous aspirons à un monde stérile. De plus, la situation même de la photographie de couverture invite à penser à un dialogue intersubjectif. Or, l’une des deux «personnes» est un objet: cela met en jeu la question d’une relation médicale où le patient est renvoyé à un statut d’objet du soin. Pourtant, il ne s’agit pas d’un objet ordinaire ici, mais d’un objet hautement symbolique, une sculpture dont nous savons combien notre société en respecte la valeur idéelle. D’où une tension, entre objet à haute valeur ajoutée, et pourtant objet: par métonymie, la photographie présentée ici en couverture interroge cette relation toute d’attention et pourtant anti-humaine que peut parfois être dans le soin la relation soignant-soigné. Enfin, dans cette image il est aussi question d’une relation intersubjective où le modèle, le «patient» semble fuir l’artiste «soignant», détourner son regard, éviter le corps à corps, signifiant peut-être un refus de cette supposée relation objectalisée. Si l’œuvre de Jacqueline gueux n’a pas été conçue pour cette interprétation, les données même de l’image la permette dans la mesure où l’artiste rend un nouveau soin à son œuvre.

Philippe Bazin

Le chemin suivi

26 Bis Rue La Haie Joulain
Saint Sylvain d'Anjou
49480 Verrières en Anjou, France

Tél. : 06 75 10 41 65
jacqueline.gueux@orange.fr
Site internet